The hitchhiker’s guide to Australia

 Flap, clap, flap, clap. Sac à dos plein de pâtes et de boîtes de thons, un bidon de 10 litres d’eau à bout de bras, crème solaire, chapeau, parapluie (parasol pour l’occasion) ça y est, je fais mes premiers pas sur la fameuse Stuart Highway. Cette « autoroute » de la largeur d’une nationale traverse le continent australien – car c’est bel et bien un continent ( !) – en son centre. Un fil de bitume de 3000km tendu entre Darwin au Nord et Port Augusta au Sud et traversant forêts tropicales, steppes, déserts, lacs salés, ranches, roadhouses de cowboys, roadhouses de camionneurs, roadhouses fantômes… L’ouest Américain à côté, c’est de la gnognotte. 

C’est donc à peine 24h après avoir atterri sur le sol australien que je mets les voiles, ne souhaitant pas m’attarder plus longtemps à Darwin. Ce départ d’Asie, cet adieu à Chiang Mai, me plonge dans un blues prodigieux et pour en sortir je ne vois d’autre issue que le mouvement. Tant pis pour Darwin, son centre vide d’âme, ses backpackers blasés et ses plages pleines de crocodiles, je prends la route. Et là, au fur à mesure que mes pieds battent le bitumes, à chaque fois que mon pouce se lève pour tenter de convaincre un conducteur de s’arrêter, la mélancolie se transforme en une force positive. Ça y est, l’Australie s’ouvre devant moi. Tout est possible, tout est réalisable, tout reste à faire, un continent se dresse devant moi.

Les commentaires de hitchwiki sont formels : pas facile de sortir de Darwin en auto-stop. Quelques locaux, dents en moins et marcels sales, essaient aussi de me décourager : « en vingt ans, personne ne m’a jamais pris sur cette route, mate ! Viens boire une bière au pub, mate ». Il est 10h… Je marche, 30 minutes, une heure, et là, le miracle attendu se réalise, une première voiture s’arrête et me dépose à une dizaine de kilomètres hors de la ville. Dès lors, les lifts s’enchaînent : touristes chinois (comme partout), bushwomen pleines de cicatrices (comme qu’ici), ingénieurs miniers, ramasseurs de cadavres de kangourous ; je saute de voitures en camions, de google-cars en minivans. Ce premier jour, la palme du meilleur lift revient à Alan.


Alan me ramasse au bord de la route, au milieu d’un nulle-part où je me trouvais depuis une petite demi-heure. Air sévère, je tente de le dérider avec quelques blagues de mon cru. Raté. En retour, je reçois une profusion de conseils afin de survivre dans ces « terres hostiles » que nous traversons. « Ici, tout veut ta mort. TOUT ! Le soleil, les serpents, les insectes, les fous, et surtout, les aborigènes ». Je suis prévenu. Alan, ancien champion de marathon (20e aux J-O de Tokyo de 1965), entraineur de Taekwondo, me propose néanmoins de dormir à Katherine dans le logement mis à disposition par sa boîte. Une aubaine qui me permet d’entendre encore quelques perles : « c’est bien que tu tiennes un carnet de voyage, comme ça si on trouve ton cadavre, on saura ce qu’il t’est arrivé. Écris le en anglais ». Bon voyage.


En arrivant en Australie, je me familiarise avec une réalité malheureuse, celle des aborigènes. Peuple passionnant, vivant sur le continent Australien depuis plus de 40 000 ans et quasiment sans contact avec l’extérieur jusqu’aux invasions britanniques. Depuis l’Europe, je croyais que le compte de ces peuplades était réglé depuis longtemps, et en arrivant à Darwin, j’ai malheureusement pu constater que l’ (auto-) destruction de ce peuple était toujours à l’ordre du jour. Alcool, jeux, obésité, les autochtones que je croise ne sont plus que l’ombre de ces êtres vivant quasi-nus dans le bush australien. À Katherine, Tenant Creek et Darwin, ce sont ces mêmes ombres que je vois errer sans buts la bouteille à la main…

Heureusement, la suite est plus encourageante, et le pessimisme d’Alan ne fait que figure d’exception. Après avoir attendu plus de deux heures, dans un hameau de quelques âmes, j’ai l’honneur de monter à bord de la voiture de Google Street View qui s’occupe de mettre en ligne les photos de toutes les routes et rues d’Australie. En mission à Darwin, Wade rentre chez lui à Brisbane à 3-4 jours de route, ayant pitié de moi, il propose de monter à bord pour les 600km jusqu’au croisement, LE croisement, le seul à des centaines de kilomètres à la ronde. Au final, tout se passe très vite, et j’ai à peine le temps de dire ouf que je me retrouve à Alice Springs, au centre du pays, à 1500km de toutes côtes. Le blues du départ est mis de côté, et je me prends complétement au jeu de l’autostop, à ces imprévus, à ces incertitudes. Le stop, c’est l’exercice du « lâcher prise ». Pas de contrôle, on ne décide pas grand-chose, si ce n’est rien. On a un cap, ensuite, ce sont les capitaines m’ayant fait monter à leur bord qui décident des escales. Si on n’a pas trop d’attentes, tout se passe bien. Pas de voiture pour se rendre au Parc National de Kakadu ? Tant pis. Personne pour aller à Broome et sur la côte Ouest ? Pas grave. Vous allez à Uluru ? Génial, je viens ! Pas d’horaires à respecter, pas d’objectifs, pas d’étapes à atteindre, tout est entre les mains de la multitude de chauffeurs m’ayant fait monter à leurs côtés. Mais surtout, ce pouce levé au bord de la route, c’est certainement la clé la plus efficace pour me permettre d’accéder à tout un panel de la population australienne. Ces heures passées à leurs côtés et à aborder toutes sortes de sujets m’ont vraiment permis, je le crois, de découvrir cet immense pays tel qu’il n’aurait jamais été possible de le faire en louant une voiture.


La chance est souvent de mon côté, et celle-ci s’illustre parfaitement avec la rencontre de Laurent et Isabelle. Ce couple de retraité français en plein road-trip australien m’accueillera dans leur van près de trois jours afin de découvrir les sites mythiques de King Canyon, d’Uluru et de Kata Tjuta. Uluru, cet immense caillou aussi connu sous le nom d’Ayers Rock, c’est ce gros monolithe de grès de près de 350m de haut et de 2.5km de long. La chance, c’est aussi de tomber sur Mars, cette belge virevoltante avec qui nous trinquons avec Mr le Ministre du tourisme, de l’agriculture, des forêts, de la pêche, des sports et des courses (tout ça). Avec Mars nous trouvons des opales dans les mines de Coober Pedy, nous dansons toute une matinée sur du Salut C’est Cool dans un hôtel sous-terrain et nous plantons la tente sous la tempête au coeur des Breakaways. La chance, c’est de survivre à une course effrénée à 180km/h à bord d’un bolide sans suspension conduit par 4 Sri-Lankais. La chance, c’est de ne pas marcher sur cette tarentule qui m’attendait sur mes tongs devant ma tente. C’est aussi de retrouver mes affaires après qu’un dingo se soit emparé de mon sac à dos durant la nuit pour y supprimer toute trace de nourriture. La chance, c’est de se faire ramasser par 3 franco-genevois qui me tirent d’une attente un plein cagnard de trois heures. Avec eux, réunis à Melbourne deux semaines plus tard, nous mettons en commun une poignée de dollar pour la jouer au Jackpot. Nous gagnons 6$ c’est ça la chance, aussi.

Fin du toboggan, la Stuart Highway se jette dans l’océan Austral. C’est chez Anna, mon ancienne coloc de Chiang Mai, que je retrouve la nostalgie asiatique. Mais bon, depuis sa chambre à Adelaïde, on voit les dauphins nager dans l’océan. La suite, est plus tranquille. Toujours en autostop, je longe la côte jusqu’à la fameuse Great Ocean Road. L’excitation, je la trouve surtout dans les forêts d’eucalyptus en découvrant des koalas perchés, condamné par leur régime alimentaire à demeurer stoned toute leur vie. Je la trouve aussi sur la moto de Bastien qui me balade à l’asiatique – sans casque – sur le superbe Cape Otway.


En approchant de Melbourne, les petits villages côtiers sont tour à tour peuplés de vieux pêcheurs ou de vieux surfeurs. Tignasse grise, mains calleuses, regards gris, seul diffère l’accoutrement : le surfeur, même à 60 piges, ne délaisse pas son maillot de bain flashy.

Melbourne, c’est l’occasion rêvée de prendre une douche. La première depuis Adelaïde il y a cinq jours. Mais à Melbourne, c’est la Tasmanie qui m’appelle. Tel Di Caprio dans Titanic, à la dernière minute, je saute dans le ferry et arrive le lendemain à Devonport pour une dernière semaine australienne, à la recherche du point le plus au sud du pays. La Tasmanie, sous la pluie, le froid, la neige, quel contraste avec les contrées traversées jusqu’à présent ! Forêts humides, grands pins, bosquets de fougères, montagnes découpées qui se jettent dans l’Océan, et les Quarantièmes Rugissants qui propulsent un air glacial sur la côte ouest. Des dénominateurs communs avec le reste du pays ? L’isolement des villages, la dureté du climat, la gentillesse des Australiens. Balades sur des sommets escarpés à Cradle Mountain, ville minière tirée de westerns, attaques de sangsues même sous la neige, vie culturelle et artistique extravagante (the Wall in the Wilderness et surtout le MONA) en une poignée de jours, la Tasmanie m’aura plongé dans un tout autre environnement que celui rencontré jusqu’à présent. Finalement, quelques heures avant de monter dans le vol qui me ramenera sur le continent, un jeune couple de Taiwanais me propose de m’amener au bout du bout de l’île, à Cockle Creek. 43°S. Voilà, la route s’arrête avec comme prochaine terre que l’Antarctique …
L’aventure australienne se termine ici après près de 7500km en stop. Trois jours plus tard, je pose le pied en Nouvelle-Zélande.